Nicole Benewaah: Perspectives noires, visions de photographes

Le mois de l'histoire des noir.e.s a été créé aux États-Unis pour commémorer les personnes et les événements importants de la diaspora africaine. Dans cette série d'interviews, nous avons interrogé trois femmes noires, toutes photographes allemandes. Elles nous parlent de leur expérience propre à chacune dans le monde de la photographie. La première photographe que nous avons rencontré s'appelle Nicole Benewaah. Son travail explore la diversité au sein de la diaspora noire et vise, plus globalement, à contribuer à une meilleure représentation des groupes marginalisés.

MPB : Bonjour Nicole, dans un premier temps, peux-tu nous raconter ce qui t'a poussé à devenir photographe ?

NB : J'ai remarqué que je n'avais que très peu d'images de ma propre famille et une représentation unilatérale des personnes noires. En devenant photographe, j'ai voulu capturer et enregistrer mon point de vue et celui des personnes qui m'entouraient. Aussi, lorsque je découvre une photo de mon enfance dont j'ignorais l'existence, j'ai toujours un sentiment très particulier. En devenant photographe, j'avais envie d'avoir un impact et de pouvoir offrir quelque chose à la société.

MPB: Quel matériel photo utilises-tu?  

NB : J'utilise un Nikon D750 et le 50mm f/1.8, un Nikon Z6 et le 24-70mm f/4 S, et un Hasselblad500CM et le Carl Zeiss 80mm.

MPB : Que penses-tu de la représentation des femmes noires photographes dans l'industrie actuellement ?

NB: Malheureusement, les femmes noires photographes sont encore sous-représentées dans le secteur. Cela n'est pas tout équilibré sur le marché allemand. C'est bien de voir qu'il y a de plus en plus de modèles noir.e.s devant la caméra, mais il est tout aussi important d'avoir des photographes noir.e.s derrière la caméra. Il est vrai que particulièrement en Allemagne, il y a encore beaucoup de travail à faire de côté là.

MPB : Peux-tu nous parler d'un projet ou d'une série photos dont tu es particulièrement fière ? Pourquoi ?

NB : Il y a plusieurs projets dont je suis très fière. La série Feeling - No Pain, que j'ai réalisée en 2020, est particulière pour moi. Dans cette œuvre, je visualise la sous-représentation des femmes noires dans les discours technologiques ainsi que dans la création d'ensembles de données pour les processus d'intelligence artificielle. Lorsque j'ai eu besoin de refaire mon passeport en 2019 et que le la photo prise au photomaton était bien trop sombre, j'ai dû rapidement trouver une alternative avec un photographe. Cet événement, et l'atelier avec Mutale Nkonde, m'ont fait prendre conscience que la technologie n'est pas neutre et qu'elle peut avoir un impact réel sur certaines personnes... Les accessoires transparents, tels que les ordinateurs portables et les téléphones mobiles, qui ont été utilisés servent à illustrer l'inaccessibilité de certains domaines technologiques. Pour souligner davantage ce point, j'ai décidé de filmer en 120 mm afin de créer une ligne historique. La carte Shirley, introduite par Kodak dans les années 1940, n'a pas inclus les tons foncés de la peau avant les années 1990. Elle nous rappelle le temps qu'il faut pour que les personnes marginalisées soient représentées dans la technologie et le chemin qu'il nous reste à parcourir.  Bien que des progrès ont été réalisés depuis, la situation reste préoccupante, car ces systèmes sont utilisés dans un nombre croissant d'applications, de la justice pénale aux soins de santé et de la finance à l'éducation. Dans tous ces domaines, il existe un risque de renforcement des inégalités existantes.

MPB: Peux-tu  nous parler d'une situation où tu as dû t'affirmer en tant que femme noire dans un environnement dominé par les blancs ou les hommes ? 

NB : Jusqu'à présent, je n'ai pas vécu de telles situations car j'essaie toujours d'éviter les espaces qui pourraient être toxiques pour moi. Mais si je me suis déjà retrouvée dans une conversation avec un photographe homme blanc, j'ai remarqué à quel point je suis sous-estimée et cela provoque souvent la surprise lorsque je dis aux gens que je suis photographe professionnelle.

MPB : Comment ton identité a-t-elle influencé ton expérience dans l'industrie de la photographie ? 

NB : Le fait d'être une BIPOC (Black, Indigenous, and people of color) dans l'industrie de la photographie m'a fait prendre conscience de l'importance de la diversité et de l'inclusion, en particulier dans la représentation des sujets et des expériences. Aujourd'hui, nous en parlons de plus en plus mais ces expériences ne sont pas toujours comprises. Cela pose des problèmes qui peuvent parfois prendre la forme de micro-agressions, comme des questions irréfléchies ou des interactions inappropriées, comme par exemple, le fait de se faire toucher les cheveux. Il est donc important et nécessaire de connaître et de fixer ses propres limites lorsqu'on fait partie d'une minorité et qu'il y a un manque de sensibilité à sa propre identité dans le climat de travail.

MPB :  Peux-tu nous parler d'une expérience particulièrement difficile que tu as vécu en tant que photographe noire en Allemagne ?

NB : Le plus grand défi auquel je suis confrontée en tant que femme noire photographe en Allemagne est certainement l'imperméabilité du secteur. Car si le problème touche toutes les personnes, quelle que soit leur identité, il est d’autant plus visible chez les personnes marginalisées comme moi. Le problème vient du temps, du capital et du réseau dont vous disposez et dont vous avez besoin pour arriver là où vous souhaitez être. Ce n'est pas facile de rassembler ces ressources sans douter de soi à travers des situations quotidiennes désagréables. En outre, la situation socio-économique joue un rôle important et influence clairement les débuts difficiles dans le secteur de la photographie.

MPB : Comment appréhendes-tu la photographie ? A quoi ressemble habituellement ton processus créatif ?

NB : Je suis une flemmarde organisée ! Lorsque je commence des projets personnels, je m'informe et lis beaucoup sur le sujet, je le laisse s’imprégner un temps et je commence ensuite à travailler sur des moodboards. Lorsque je commence à visualiser l'image que je souhaite réaliser, j'écris alors aux personnes et aux modèles auxquels je pense.. Le jour de la séance photo, j'essaie toujours d'aborder le sujet de manière très terre à terre et d'être sensible aux besoins de la personne qui me fait face. Je trouve que l'édition et la sélection des images sont les plus difficiles.  Si j'ai du temps pour cela, je le prends, mais quand il s'agit de prendre une décision, je peux le faire rapidement, c'est quelque chose que j'ai appris surtout pendant mes études. Lorsqu'il s'agit de commandes, je l'aborde de manière plus systématique et j'essaie de comprendre ce que l'on veut en posant beaucoup de questions, afin de pouvoir suivre le processus créatif de manière plus rigoureuse.

MPB :  Quel rôle joue l'intersectionnalité dans ton expérience en tant que femme noire photographe ?

NB : L'intersectionnalité joue un rôle très important dans mon expérience car mes identités de femme, de Noire et de classe sociale sont interconnectées et m'affectent de différentes manières. Cette réalité détermine en partie la façon dont je suis perçue dans le secteur.

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