MPB a rencontré le photographe Raphael Schumacher

Le photographe Raphael Schumacher a documenté le travail de SOS Humanity, une ONG de sauvetage en mer, couvrant ses missions de recherche et de sauvetage en Méditerranée.

Après des études à l'Université Folkwang des Arts, Raphael Schumacher a bâti sa carrière en tant que photographe travaillant pour des marques telles qu'Adidas, Ford et Siemens. En juin et juillet 2023, Raphael a rejoint SOS Humanity en tant que photographe à bord, utilisant du matériel photo fourni par MPB.

L'objectif de SOS Humanity est de veiller à ce qu'aucune personne ne se noie en fuyant par la mer et de protéger la dignité et les droits de l'homme des migrants et des réfugiés.

Dans cette interview, Raphael Schumacher partage ses expériences à bord du navire de sauvetage Humanity 1 et discute du rôle de la photographie dans les situations de crise. Lisez la suite pour en apprendre davantage et découvrir les images puissantes de Raphael.

MPB : Comment est-ce que tu envisages le rôle de la photographie dans la documentation de ce type de crises ?

RS : Un jour, j'ai écrit un article sur "La Photographie en tant que Médium au cœur des Zones de Crise", dans lequel j'ai abordé la photographie comme une image "compressée" de la réalité. Je me souviens de ce texte car c'est ce que je veux créer. La "fixation" du processus de sauvetage, l'interaction entre les gens ou la vie à bord.

Mes photos rassemblées peuvent entrer en connexion avec d'autres ou servir de symbole de mémoire, ce qui peut contribuer à rendre le monde compréhensible à travers l'image. Mes images mentales se transposent dans le médium technique de l'appareil photo et sont ainsi préservées de manière permanente.

MPB : Peux-tu décrire ton expérience à bord en tant que photographe ?

RS : J'ai endossé le rôle de témoin? J’avais pour but  d’être un reporter. Comme le décrit Susan Sontag, "les photographies d'une atrocité peuvent susciter des réponses opposées. Un appel à la paix. Un cri de vengeance. Ou simplement la conscience étonnée, continuellement alimentée par les informations photographiques, que des choses terribles se produisent."

C'est peut-être une pensée naïve, mais j'essayais de susciter précisément cette compassion. Un sentiment qui se traduit par une action. Est-ce que cela pourrait être comparé à une caractéristique des photographies de guerre ? Le fait que regarder ces photographies amène à réfléchir sur certaines situations ?

Tous les matin, je me réveillais avec une certaine idée de ce que devaient être mes photos. Je me demandais quand je capturerais la première image qui correspondrait à cette vision. Une image qui n'aura pas besoin d'explication pour être décodée. Un motif qui n'est pas trop compliqué, mais qui ne semble pas non plus trop marquant. Une image qui montre ma réalité actuelle et embarque le spectateur à bord.

MPB : Quel matériel photo utilises-tu ?

RS : J’ai longuement réfléchi au matériel photo que je souhaitais emporter. Un équipement qui puisse couvrir tous les besoins.

J'ai donc opté pour un objectif Sony 24-70mm f/2.8 GM sur mon Sony A7R III comme appareil principal. Heureusement, MPB m'a fourni un deuxième appareil. J'ai choisi un Sony A7 III avec un objectif Sony FE 135mm f/1.8 GM, une combinaison fantastique dont je ne voudrais plus me passer.

J'ai également utilisé les anciennes lentilles Mamiya Sekor C pour de nombreux de mes portraits, ce qui crée un look intéressant et unique.

MPB : Comment décrirais-tu le travail avec l'équipage ?

RS : La vie à bord d'un navire suit des règles strictes, dont le non-respect peut entraîner des problèmes. Non seulement pour vous ou l'équipage, mais pour tout l'organisme.

C'est pourquoi il est important de constituer une bonne équipe. Une équipe composée des caractères les plus divers qui doivent fonctionner comme une roue dentée bien huilée en quelques jours.

Chaque membre de l'équipage a un rôle auquel il faut accorder la plus grande attention, en particulier pendant et après un sauvetage. Cependant, le nettoyage du navire chaque matin, la réunion matinale et le respect des heures de repas fixées sont également indispensables. Sur un bateau c’est simple, tout le monde participe.

MPB : Qui fait partie de l'équipage sur ce navire de sauvetage ?

RS : À bord de l'Humanity 1, il y a des membres d'équipage professionnels qui connaissent chaque vis du navire et, surtout, qui peuvent rapidement identifier les problèmes mécaniques et essayer de les résoudre encore plus rapidement. Leur expertise est remarquable, surtout pour une personne comme moi qui a deux mains gauches !

L'autre moitié de l'équipage est composée de bénévoles. À mes côtés, il y avait le docteur Mirko, le paramédic Isa, le journaliste extérieur Anupam, la sage-femme Marion, l'observatrice des droits de l'homme Ana, l'interprète Alex, la psychologue Alice et le responsable des RHIB, Thomas.

[Les RHIB (Rigid-Hulled Inflatable Boat) sont des bateaux semi-rigides à coque souple, utilisés pour les opérations de sauvetage.]

MPB : Peux-tu nous parler un peu des opérations de sauvetage ?

RS : Bien sûr. Un jour, nous avons repéré un bateau métallique pointu avec l'un de nos puissants phares vers minuit. Les RHIB, chargés de centaines de gilets de sauvetage rouges à éclairage, ont été mis à l'eau.

La tension est montée dès que les RHIB ont touché l'eau. La houle avait énormément augmenté entre-temps. Tout en vérifiant nos gilets de sauvetage, nos casques et autres équipements, nous nous demandions combien de temps il nous restait pour sauver tout le monde de ce bateau qui menaçait de couler.

À côté de moi, mon équipe se composait d'un pilote de RHIB, d'un responsable de RHIB, d'un support RHIB, d'un interprète et d'un journaliste. Nous sommes montés à bord des RHIB et avons immédiatement ressenti la puissance de la mer. Les vagues fouettaient tout autour.

En enrant en contact avec le bateau, la première chose que j'ai remarquée, ce sont les regards des personnes qui avaient besoin d'aide. Une pensée m'a effleuré et j'ai immédiatement essayé de l'analyser. "Est-ce voyeuriste, à cet instant, de pointer mon appareil photo sur les visages des gens devant moi ? Est-ce que ce que je fais est correct ? Devrais-je éviter de prendre ce genre d’images qui reflètent de la peur et la panique ?"

J'ai décidé intuitivement de documenter la panique. Après tout, les images sont destinées à des personnes qui ne peuvent pas imaginer devoir traverser la Méditerranée en pleine nuit. Et de toute façon, il n'y avait pas de temps pour des débats philosophiques.

En raison de la forte houle et de l'état précaire du bateau en métal, nous manquions littéralement de temps. Josh, le capitaine, a décidé de déplacer le navire-mère pour nous protéger des vagues qui arrivaient. Cela nous a donné de la stabilité, et nous avons pu commencer à secourir les premières personnes, en commençant par les femmes et les enfants.

Comment faire face à de telles impressions ? Je n'ai pas la réponse...

MPB : À quoi ressemblait le matin d’après ?

RS : Chaque matin, je préparais du thé pour 200 personnes. J'ai discuté avec certains des survivants, qui m'ont partagé leurs histoires.

Après le déjeuner, nous participions à des activités comme des jeux de société, de la danse, du chant ou de la peinture ensemble. L'ambiance était exubérante.

Observer cette ambiance positive a boosté mon moral et confirmé le fait que j'atais au bon endroit.

Merci, Raphael. Ne manque pas l'exposition d'Raphael Schumacher intitulée "All Numbers End" du 2 au 11 novembre 2023 à la Galerie/76 à Berlin. Pour plus interviews, rends-toi vite sur notre hub de contenu MPB!