
Journal de la Coupe du Monde 2022 par Ryu Voelkel
Publié le 20 décembre 2024 par MPB
Au cours des 15 dernières années, le photographe sportif berlinois Ryu Voelkel a couvert trois Coupes du monde et certains des plus grands championnats de football européens (Premier League, Bundesliga, Ligue 1 et Serie A), tout en travaillant pour des marques internationales comme Nike, Adidas, Puma et Uniqlo. Ryu a également cofondé le podcast de photographie sportive Big Lens Fast Shutter. En 2022, Ryu est de retour pour couvrir l'événement le plus prestigieux du football, la Coupe du monde au Qatar, l'un des pays hôtes les plus controversés de l'histoire récente. Les photographes savent que ce qui compte vraiment se trouve en dehors du terrain. Pour vous donner une vue de la ligne de touche et un aperçu des coulisses, MPB s’est rapproché de Ryu Voelkel qui va tenir un journal en documentant le quotidien d'un photographe de la Coupe du monde. Lisez la suite pour en savoir plus...
Mercredi 16 novembre 2022
Ayant commencé ma carrière par des photos de Shunsuke Nakamura, au Celtic dans la Premiership écossaise, ma carrière m'a ensuite conduit dans de nombreux stades autour du monde.
Nikon D5 | 14-24mm f/2.8 | 14mm | f/20 | 1/1600 | ISO 1250
Il y a quatre ans, le 15 juillet 2018, j'ai vu une bière voler au-dessus du ciel bleu de la place Josip Jelačić à Zagreb, en Croatie. La foule célébrait un but égalisateur d'Ivan Perišić. Au lieu de filmer la finale de la Coupe du monde 2018 au stade Luzhniki, je m'étais rendu à Zagreb parce que - si la Croatie avait gagné - cela aurait été l'une des plus grandes surprises de l'histoire de la Coupe du monde. Et je voulais être là pour le capturer. Parfois, les choses ne se passent pas comme prévu. Mais les images que j'ai prises ce jour-là étaient aussi uniques que possible.

Qatar line up against Egypt in 2021 | Nikon D5 | 70-200mm f/4 | 150mm | f/9 | 1/500 | ISO 1600
Cette Coupe du monde 2022 est très controversée. Mais ma décision de la couvrir était simple. J'avais envie de la capturer à travers mes propres yeux et de raconter l’histoire dans mon prochain livre sur la Coupe du monde, No Hands 3. Aujourd'hui, alors que je me prépare pour mon voyage de 30 jours, je commence ce journal de la Coupe du monde pour MPB. J'espère vous faire découvrir le monde étrange et merveilleux d'un photographe sportif indépendant qui couvre la Coupe du monde.

Le Japon joue dans le brouillard lors de son match amical international contre le Mexique en novembre 2020 | Nikon D5 | 400mm f/2.8 | 400mm | f/3.2 | 1/2000 | ISO 3200
La question que l'on me pose le plus souvent est : « Comment faites-vous pour couvrir la Coupe du monde ? ». La réponse courte : « cela n'est pas facile. ». Tout d'abord, vous devez être invité par votre fédération de football - et il y a un nombre limité de places disponibles pour chaque pays - donc vous devez avoir couvert les matchs de l'équipe nationale de la fédération avant la Coupe du monde. Le statut d'indépendant (auto entrepreneur) rend ce processus encore plus difficile, car vous devez financer vous-même tous vos déplacements et votre hébergement. Et vous devez aussi gagner suffisamment d'argent.

Karim Benzema | Nikon D5 | 400mm f/2.8 | f/3.2 | 1/1000 | ISO 2000
J'ai décidé de lancer la série de livres No Hands en partie pour financer mon voyage pour la Coupe du monde, mais aussi parce que j'avais toute liberté pour créer et organiser mon travail. Lorsque vous photographiez pour une agence ou un média, vous êtes limité dans ce que vous pouvez faire, et vos meilleurs travaux risquent de ne jamais voir la lumière du jour. À mon retour de la Coupe du monde 2010, il était temps pour moi de créer ma propre plateforme.

Mohamed Salah de Liverpool | Nikon D5 | 24-70mm f/2.8 | 38mm | f/4 | 1/1000 | ISO 3200
No Hands 3 ne contiendra que des images en noir et blanc. C'est une idée que j'ai eue juste après la publication de No Hands 2. En plus des images prises sur le terrain, j'avais besoin d'un appareil photo pour prendre des photos hors du terrain. Il devait également être léger, discret et capable de prendre de bons JPEG. C'est ainsi qu'est apparu le Fujifilm X100V. J'ai choisi le X100V parce que c'est un appareil photo à objectif fixe. Sachant que la longueur focale sera toujours la même, je peux me concentrer sur le cadrage et l'éclairage de la scène.
J’ai besoin d'une flexibilité maximale de mes objectifs. Les principaux objectifs de mon Nikon Z9 sont les 70-200mm f/2.8 VR S, et 14-24mm f/2.8 S, ainsi que le 400mm f/2.8D IF-ED II, appelé yon ni pa en japonais. J'emprunte également au MPB l'objectif Nikon24mm f/3.5D ED tilt-shift. Lorsque je prendrai des photos larges sur le terrain, j'utiliserai probablement cet objectif pour obtenir un aspect surréaliste.
Je ne mentionnerai pas le nombre de kilos de riz que j'apporterai, ni la marque de shampoing qui sera la meilleure dans le désert. Au moment où vous lirez ces lignes, je serai peut-être déjà en train de photographier dans le stade climatisé.

L’équipement de Ryu Voekel pour la Coupe du Monde
Mercredi 23 Novembre 2022
Je suis actuellement assis au centre des médias au stade où se déroule le match Allemagne - Japon et je n’arrive pas à m'enlever de l’esprit l'ambiance du match d'hier soir entre l'Argentine et l'Arabie Saoudite ! Je suis encore sous le choc, mais les matchs continuent d'arriver !

Lionel Messi | Nikon Z9 | 400mm f/2.8 | f/3.2 | 1/800 | ISO 800
Dans cet article, je veux vous parler de la logistique de cette Coupe du Monde. Outre le fait que celle-ci ne se déroule pas en été, elle se déroule dans une seule ville. Les coupes du monde précédentes se déroulaient dans plusieurs villes, ce qui impliquait plus de déplacements pour tout le monde y compris les photographes. Cette routine consistait à documenter un match, à dormir (ou plutôt à ne pas dormir), à se rendre dans la ville suivante, à documenter le match suivant, et ainsi de suite jusqu'à ce que vous ne sachiez plus où vous êtes !
Au Qatar, chaque stade et centre des médias se trouve généralement à 10-15 minutes de marche de la station de métro la plus proche. Si Al-Bayt et Al Thumama sont un peu plus loin, les six autres sont faciles d'accès. Donc, d’un point de vue logistique, vous pouvez facilement assister à deux matches par jour.

Doha | Nikon Z9 | 14-24mm f/2.8 | 14mm | f/18 | 1 sec | ISO 800
En choisissant les matchs auxquels je souhaitais assister, j'ai voulu tester mes limites et documenter 25 matchs en deux semaines. Au moment où vous lisez ces lignes, je me sens peut-être déjà différent, mais jusqu'à présent, mon corps et mon esprit sont toujours là. Bien que je me sois évanoui plusieurs fois pendant le match entre la Pologne et le Mexique.

Luis Chávez | Nikon Z9 | 400mm f/2.8 | f/3.2 | 1/2000 | ISO 1600
Le problème en assistant à deux matchs par jour c’est qu'il y a désormais un très grand nombre de photographes couvrant le même match. Mais, au fur et à mesure que les équipes sont éliminées à la fin de la phase de groupe, de plus en plus de photographes - qui sont affectés aux pays participants - sont susceptibles d'abandonner aussi. Mais, pour l'instant, le nombre de photographes assistant aux matchs me semble être un record.

Bukayo Saka | Nikon Z9 | 14-24mm f/2.8 | 14mm | f/5.6 | 1/320 | ISO 1600
Le coup d'envoi des matchs est donné à 13h, 16h, 19h et 22h, heure locale. Je me suis inscrit pour la plupart des matchs de 13h et 19h. Si vous essayez de couvrir des matchs qui commencent à 22h, suivis d'un autre le lendemain à 13h, cela peut s’avérer compliqué !

USA vs Wales | Nikon Z9 | 560mm f/4 | f/4 | 1/1000 | ISO 1600
Ensuite, il y a le problème du système de réservation des places. C'est devenu un problème majeur pour les photographes. Contrairement à d’autres types de matchs, les sièges de la Coupe du monde sont choisis avant le match. Par exemple, le match d'aujourd'hui : Allemagne contre Japon. Les photographes rattachés aux équipes d'Allemagne et du Japon se voient offrir le premier choix de sièges, et les autres photographes ont ce qui reste. Les années précédentes, il fallait faire la queue devant le bureau d'information des photographes au centre des médias du stade. Mais depuis la pandémie, cela a été digitalisé. En fonction de votre priorité, on vous attribue un créneau horaire. Par exemple, aujourd'hui, je dois choisir ma position pour le Ghana contre le Portugal et la Suisse contre le Cameroun. Mais le système de réservation ouvre pendant le match Allemagne - Japon, que je serai en train de couvrir. C'est encore plus difficile quand il y a deux matchs pour lesquels vous devez réserver vos places. Malheureusement il ne semble pas y avoir de solutions.

Christian Pulisic | Nikon Z9 | 400mm f/2.8 | f/3.2 | 1/2000 | ISO 1600
En tant que freelance, je ne loge pas dans les grands hôtels chics. En général, on choisit l’hôtel le moins cher possible. Lors des trois dernières Coupes du monde, j'avais choisi de dormir chez l'habitant et essayé d'obtenir le plus de gratuités possible sur l'hébergement. Mais loger chez l'habitant a ses avantages : votre hôte vous parlera probablement de choses que le personnel d’hôtel ne ne vous dira pas. Au Brésil, par exemple, j'ai même pu photographier un match au milieu d'une favela.
Au Qatar, cette année, si j'ai l'impression que le fait de tourner autant de matches nuit à la qualité de mon travail, je vais certainement en réduire quelques-uns. Mais, pour l'instant, je me réjouis de tourner mes deux matches par jour.

Nikon Z9 | 400mm f/2.8 | f/3.2 | 1/2000 | ISO 1600
Mardi 29 Novembre 2022
Le rythme soutenu de deux matchs par jour ne semble pas se calmer. À vrai dire, j'ai pratiquement perdu la notion du temps.. Je ne pense qu'à prendre les meilleures photos pour mon prochain livre No Hands 3.

Tunisie vs Australie | Nikon Z9 | 400mm f/2.8 | f/2.8 | 1/10000 | ISO 200
Cette Coupe du monde à forte connotation politique continue à la fois sur le terrain et en dehors, mais mon travail reste simple : raconter l'histoire à l'aide de l'appareil photo. Je vais donc parler du Nikon 24mm f/3.5D ED, que j'ai emprunté à MPB. Avant, je possédais cet objectif, mais je l'ai vendu pensant que j'en avais fait assez avec lui. Mais pour cette Coupe du monde, j'ai eu envie soudaine de l'utiliser à nouveau, donc MPB me l'a prêté.

Ryu Voelkel | Nikon Z9 | Nikon PC-E 24mm f/3.5D ED | f/4 | 1/5000 | ISO 200
Comme vous pouvez le voir sur l'image ci-dessus, pour la photographie sportive, l'utilisation d'un tilt-shift ne fonctionne que si vous avez déjà un plan en tête. Comme il n'a pas de mise au point automatique, vous devez être très précis en termes de composition. Ici, je recherchais deux éléments. Premièrement, le sujet - il devait se passer quelque chose qui attire l'attention. Deuxièmement, la lumière - le contraste entre les ombres et la lumière devait être présent, c'est pourquoi je me suis assis sur la ligne de côté pour m'assurer qu'elle était présente. Un ami m'a demandé combien de temps il m'avait fallu pour réaliser cette photo, il a été surpris quand je lui ai dit que cela m'avait pris tout le match. Et comme un seul match par jour se déroule pendant les heures d'ensoleillement, vous n'avez qu'une seule chance de 90 minutes.

Japon vs Costa Rica | Nikon Z9 | 400mm f/2.8 | f/2.8 | 1/10000 | ISO 200
La « recherche d'un beau moment » a toujours été le but pour moi. Il ne s'agit pas forcément d'un objectif ou d'une célébration. Je veux que le lecteur soit surpris en ouvrant mon livre No Hands 3.

Cristiano Ronaldo | Nikon Z9 | 400mm f/2.8 | f/9 | 1/10 | ISO 100

Equateur | Nikon Z9 | 560mm f/4 | f/4 | 1/1000 | ISO 2000
Qu'importe qu'il s'agisse de la finale de la Coupe du Monde ou d'un petit match de groupe, la photo doit se suffire à elle-même. Et c'est ce que je cherche toujours à faire.

Cameroun vs Suisse| Nikon Z9 | 400mm f/2.8 | f/3.5 | 1/8000 | ISO 100
En ce qui concerne les moments forts du match, vous pouvez deviner qu'il s'agit surtout de chance. J'ai essayé de prédire l'issue du match, en me disant que l'équipe A allait probablement marquer avant l'équipe B, et que je choisirais donc une position où j'aurais probablement l'occasion de célébrer. C'est très bien, mais ce n'est pas un tournage en studio. Vous n'avez aucun contrôle sur ce qui va se passer pendant un match.

Kylian Mbappe | Nikon Z9 | 400mm f/2.8 | f/3.2 | 1/2000 | ISO 2000
Ce n’est pas sans raison que les grandes agences envoient autant de photographes lors des Coupes du Monde : pour ne rien manquer. Par exemple, une agence japonaise est venue avec 6 photographes lors du match Allemagne/Japon.

Maya Yoshida | Nikon Z9 | 560mm f/4 | f/4 | 1/800 | ISO 1250
Puisque je n’ai pas pu me cloner avant la Coupe du Monde, j’ai besoin d’un plan et je dois m’y atteler sans faute. C’est un véritable défi mais surtout du plaisir !

Belgique | Nikon Z9 | 14-24mm f/2.8 | f/4.5 | 1/400 | ISO 3200
Lundi 5 décembre
Dès le début, je savais que cela allait s’avérer compliqué. En effet, jamais personne n’a pu accomplir quelque chose de la sorte lors d’un tournoi majeur tel que la Coupe du Monde. C’est avec le plus grand des regrets que je n’ai pas réussi à atteindre et donc à documenter les 25 matchs de groupes lors de la Coupe du Monde.

Thomas Müller | Nikon Z9 | 400mm f/2.8 | f/3.2 | 1/2000 | ISO 2000
Le dernier match de cette phase. Il y a eu deux exemples de matchs joués au même moment : deux matchs à 18h et deux matchs à 22h. Je suis allé voir le Sénégal jouer contre l’Equateur à 18h tout en sachant que le seul bus pour les médias partirait juste 20 minutes après le match. J’ai dû me diriger vers la sortie pour assister au match Iran - USA qui commençait à 22h. Ce qui veut dire que dans ce cas, tu rates ce qu’il se passe lors des 15 dernières minutes du match.

Lionel Messi | Nikon Z9 | 400mm f/2.8 | f/3.2 | 1/2000 | ISO 1600
Par exemple, lors du match opposant la Corée du Sud au Portugal, le photographe qui se trouvait à mes côté a quitté le match au bout d’un moment pour pouvoir assister au match suivant qui débutait à 22h. Il n’était pas sur place lorsque le joueur Hwang Hee-chan a marqué à la dernière minute, ce qui a mis l'ambiance dans tout le stade.

Son Heung-min | Nikon Z9 | 560mm f/4 | f/4 | 1/1250 | ISO 1600
Alors que la phase de groupe touche à sa fin, vous vous demandez sûrement ce que contiendra mon livre No Hands 3. J’ai toujours voulu prendre plus de photos depuis les tribunes, et non seulement du terrain. Mais obtenir un bon résultat n’est pas toujours simple.

Richarlison | Nikon Z9 | 400mm f/2.8 | f/3.2 | 1/2000 | ISO 2000
En prenant des photos depuis les tribunes, les photos peuvent être assez ennuyantes. Cela est dû au fait que vous photographiez des joueurs qui se déplacent dans des dimensions : haut-bas et gauche-droite. Mais vous pouvez utiliser les lignes du terrain - le rond central, la surface de réparation - pour créer des motifs géométriques, que je trouve assez agréables à l'œil. L'autre façon de rendre les prises de vue plus intéressantes est de faire appel à la magie de l'appareil photo : vitesses d'obturation lentes et expositions multiples, ou même une combinaison des deux. Je vais peut-être essayer de le faire au niveau du terrain lors de la phase éliminatoire.

Ryu Voelkel | Senegal vs Ecuador | Nikon Z9 | 560mm f/4 | f/32 | 1 sec | ISO 64
Ensuite, une vitesse d'obturation lente. Avec une vitesse de base de 1/10, j'ai essayé de suivre et de capturer les joueurs. Un de mes collègues m'a dit "il est plus difficile de faire de la vitesse lente depuis le haut, car il y a beaucoup de mouvements de haut en bas des joueurs lorsqu'ils courent". L'obturation lente ne fonctionne que si vous les suivez à la même vitesse que vous déplacez l'appareil photo, créant ainsi un flou autour du sujet mis au point.
Sentant que ça ne va pas, je me suis dit "Peu importe. Je vais juste prendre une seconde." Donc, avec la vitesse d'obturation à 1 seconde et un noir pendant que l'obturateur était en marche, je me suis vite rendu compte qu'il allait être difficile de suivre l'emplacement des joueurs. Finalement, réalisant dans quoi je m'étais embarqué, la solution était de se concentrer sur les coups de pied arrêtés. Sur les corners et les coups francs, les joueurs ne se déplacent que dans certaines directions, ce qui les rend plus faciles à suivre. Et c'est ainsi que j'ai obtenu cette image.

Cameroon vs Serbia | Nikon Z9 | 24-70mm f/2.8 | 70mm | f/3.2 | 1/20000 | ISO 200
Grâce à vos dons, mon livre No Hands 3 est désormais complètement fondé. J’ai reçu un message d’un follower sur Instagram qui m’a dit que l’objectif de financement avait été atteint. Un grand merci à tous ceux qui ont participé.

Matt Turner | Nikon Z9 | 400mm f/2.8 | f/3.2 | 1/2000 | ISO 1600
Dans mon prochain journal, j’aimerais vous parler des hauts et des bas émotionnels. Le match opposant la Corée du Sud au Portugal est un très bon exemple et plus on avance dans ce championnat, les joies des victoires et les déceptions des défaites sont d’autant plus importantes.

Nikon Z9 | 24-70mm f/2.8 | 70mm | f/4 | 1/2000 | ISO 2000
Jeudi 8 décembre
Au moment où je suis en train d’écrire ce journal, Lionel Messi se prépare à affronter la surprenante équipe du Pays Bas et son meilleur joueur Virgil van Dijk, milieu de terrain. Ce match pourrait être le dernier match international de Lionel Messi, 35 ans pour l’Argentine. Le match Argentine/Pays-Bas pourrait être l'occasion parfaite pour capturer un Lionel Messi triste.

Argentina vs Australia | Nikon Z9 | 560mm f/4 | f/4 | 1/800 | ISO 1600
À partir des huitièmes de finale, c'est simple, soit on gagne et on continue, soit on rentre chez soi. C'est ce que j'attends toujours avec impatience - tous ces visages tristes. Rien ne me rend plus heureux que de filmer le moment où tout s'écroule. Les joueurs ont tout donné pour le match et quand le coup de sifflet final retentit, leurs genoux se dérobent et le poids de la défaite les fait sombrer sur le terrain. Je ne comprends pas pourquoi certains photographes préfèrent toujours photographier les vainqueurs, alors que la défaite est bien plus belle. À la fin de la Coupe du monde, s'il n'y aura qu'un seul gagnant, il y aura 31 perdants.

Japan | Nikon Z9 | 400mm f/2.8 | f/4.5 | 1/1250 | ISO 1600
La plupart de ces joueurs gagnent énormément d'argent. Ainsi, dans la plupart des cas, la défaite ne frappe pas les joueurs professionnels aussi durement qu'on pourrait le penser. Surtout en comparaison avec les joueurs amateurs, qui ne gagnent rien du tout et se donnent à fond dans le seul but de gagner. Si vous voulez vraiment saisir la défaite à l'état pur, allez tourner un match dans les ligues amateurs. Quoi qu'il en soit, au moment où l'arbitre donne le coup de sifflet final, vous devez être prêt à saisir le qui, le quand et le comment.
Alors, qui dois-je photographier ? Le premier sur la liste est toujours la personne la plus célèbre de l'équipe perdante. Si l'Argentine perd, j'attendrai le coup de sifflet final avec Lionel Messi seul dans mon viseur. Si aucun nom célèbre ne vous vient à l'esprit - et mes connaissances en matière de football ne sont pas aussi vastes que vous pourriez le penser - une bonne règle générale consiste à photographier le capitaine.
Mais, évidemment, cette personne devra faire quelque chose. Si elle reste plantée là, sans réaction faciale ou corporelle, vous devrez scruter le terrain pour trouver quelqu'un qui pourrait faire quelque chose. Je ne choisis jamais la "voie de la légende" pour raconter l'histoire de mon image. C'est l'image qui doit montrer la douleur, pas les mots. Si Messi ne le montre pas, alors je dois passer à quelqu'un d'autre.

Yassine Bounou | Nikon Z9 | 400mm f/2.8 | f/3.2 | 1/2000 | ISO 2000
Quand dois-je le tirer ? Au coup de sifflet final. Ne décidez jamais de ce que vous allez tirer au moment où le match est décidé. Vous avez besoin d'un plan A et d'un plan B. Les footballeurs n'ont pas l'habitude de rester assis et de ne rien faire pendant une période prolongée. Si votre plan A ne fait rien, passez à votre plan B - il peut s'agir de toute l'équipe perdante - mais, en attendant, n'oubliez pas de suivre votre plan A. C'est un travail difficile, mais le timing est essentiel.
Les émotions sont fortes au moment où les choses sont décidées. Après cela, peu importe comment vous l'habillez, cela n'aura jamais autant d'impact que ce moment au coup de sifflet final où les joueurs montrent leurs vrais sentiments. La douleur s'estompe avec le temps. Il est donc important de savoir comment l'équipe est susceptible de se réjouir ou de se consoler. C'est la clé pour créer une bonne image.
Et, enfin, comment je tourne ? Si les joueurs sont devant moi et que je peux presque goûter le sel de leurs larmes, c'est parfait. J'utiliserai l'objectif le plus large possible et je commencerai à filmer. Plus souvent qu'autrement, la fête triste se déroule à différents endroits sur le terrain. N'oubliez pas que vous devez montrer l'émotion dans vos images. Si votre cible est éloignée, utilisez un objectif plus long. Ou alors, bougez vos jambes. Mettez-vous dans une position où vous êtes susceptible d'obtenir la meilleure photo, mais, en même temps, soyez conscient de ce qui se passe sur le terrain. Peut-être les joueurs vont-ils se diriger vers leurs supporters. Vous devez agir de manière décisive et être léger sur vos pieds quand il y a de meilleurs moments pour tirer.
Il est important de ne pas être émotif. Une fois le travail terminé, vous pouvez ressentir ce que vous voulez, mais, sur le moment, concentrez-vous sur ce qui se trouve devant vous. Voyons si j'ai réussi à obtenir un grand "Messi triste".

France vs Poland | Nikon Z9 | 14-24mm f/2.8 | f/4 | 1/2500 | ISO 2000
Vendredi 16 décembre
Il n’est pas loin de midi. Je me trouve dans ma chambre d’hôtel. Là où j'ai passé beaucoup trop de temps à me remettre des matchs tardifs. J’entends mes voisins égyptiens qui hurlent dans leurs airpods, je peux entendre leurs conversations avec les Indonésiens sur leurs conditions de travail, les chats qui miaulent et se promènent jusqu'à notre étage pour chercher des restes et ma douche inonde toujours le sol.

Morocco | Nikon Z9 | 24-70mm f/2.8 | 24mm | f/3.5 | 1/1/60 | ISO 2500
En général, les photographes ne sont pas heureux de quitter la Coupe du Monde. Cette fois, nous sommes impatients de partir. J'en ai plus qu’assez de ce qu'ils ont à offrir ici. Je suis prêt à laisser cet endroit derrière moi pour de bon.

Nikon Z9 | 560mm f/4 | f/4 | 1/1250 | ISO 2000
Cet article est mon avant-dernier du journal de la Coupe du Monde. Si l'on considère le nombre de matchs que j'ai documentés, cette Coupe du Monde aura pour moi, été la plus intense de tous les temps. Pendant la phase de groupes, il y avait plus de matchs par jour, car elle se déroulait en hiver et au milieu de la saison européenne de football. De nombreux photographes ont donc assisté à deux matchs par jour et se sont surmenés.

Kylian Mbappé et Achraf Hakim | Nikon Z9 | 560mm f/4 | f/4 | 1/1250 | ISO 2000
Presque tous les photographes ont attrapé froid. Les températures glaciales et l'air conditionné à l'intérieur des stades et des véhicules n'ont pas aidé. On entend tout le monde tousser dans tous les bus de presse. Ce qui me rappelle la pandémie. Mais, à deux matchs de la fin, les gens ne semblent pas s'en inquiéter outre mesure. Cela fait peur !

Lionel Messi | Nikon Z9 | 400mm f/2.8 | f/3.2 | 1/2000 | ISO 2000
Passons à la finale et aux matchs pour la troisième place. Au moment où vous lirez ces lignes, je saurai si j'ai réussi à me qualifier pour la finale. Pour être honnête avec vous, j’en doute. Il y a encore beaucoup de photographes ici. Habituellement, la plupart des photographes partent après l'élimination de l'équipe de leur pays. Mais il semble que beaucoup d'entre eux soient restés, en particulier ceux d'Europe. La distance par rapport à la Coupe du Monde fait en fait toute une différence dans la présence des médias. Je me souviens du nombre réduit de photographes européens en Afrique du Sud et au Brésil, mais ils étaient beaucoup plus nombreux en Russie. Quoi qu'il en soit, vous en saurez plus à ce sujet en lisant mon dernier article du journal. J’ai déjà pû participer au match pour la troisième place.

Argentina vs les Pays-Bas | Nikon Z9 | 400mm f/2.8 | f/3.2 | 1/2000 | ISO 2000
Si vous vous souvenez de mon premier article, je racontais que j’avais emprunté un Fujifilm X100V à MPB. Vous vous demandez pourquoi vous n'avez vu aucune de ces photos ? Ne vous inquiétez pas, je ne les ai pas vues non plus. Ce n'est pas un appareil photo argentique, je pourrais passer en revue toutes les photos maintenant. Mais j'ai pensé que ce serait plus amusant de les voir toutes en rentrant à la maison. Je partagerai certaines d'entre elles avec vous dans mon article, ainsi que mon expérience avec l'appareil photo lui-même. En attendant, que la meilleure équipe gagne.

Aurélien Tchouaméni | Nikon Z9 | 14-24mm f/2.8 | f/4 | 1/500 | ISO 2000
Lundi 19 décembre
Avant de me lancer dans le dernier article de mon journal de la Coupe du monde, j’aimerais vous parler de mon expérience avec le Fujifilm X100V, que j’ai emprunté à MPB. J’ai principalement photographié en callant l’appareil sur ma hanche. Je voulais juste voir ce que ça donnerait. Bien que j’ai aimé l’utiliser, je pense que ce n’est pas un appareil fait pour moi. Pour quelqu’un qui se contente de son iPhone pour prendre des photos de temps en temps, cet appareil constitue une amélioration considérable par rapport à un smartphone. Lorsqu’il n’est pas prévu que je photographie quelque chose de spécifique, comme ce fut le cas pendant la Coupe du monde, je n’ai pas vraiment besoin d’un appareil aussi performant que le Fujifilm X100V.

Fujifilm X100V | 23mm | f/2 | 1/60 | ISO 320

Fujifilm X100V | 23mm | f/2 | 1/60 | ISO 250

Fujifilm X100V | 23mm | f/2 | 1/80 | ISO 160
Je suis à présent à bord de l’avion, de retour vers Berlin. Dans cinq heures, je serai chez moi. Ce fut probablement la meilleure conclusion de Coupe du monde de l’histoire du football. Une fin de rêve ! Le jour de la finale, j’ai choisi ma place mais me suis retrouvé à un endroit qui ne me plaisait pas trop. Mais comme c’était ma quatrième finale, et la deuxième sur le terrain, je garde ce sentiment, qui me fait chaud au cœur, d’avoir été l’un des rares chanceux à être présents pour photographier un match de cette ampleur.
Le match commence. Les quatre premiers buts sont marqués de l’autre côté du terrain. En 90 minutes de jeu, je n’ai rien à montrer. Mes nerfs commencent à lâcher, je sens la panique monter. J’ai pris plus de 9 000 clichés pendant la finale, mais comment vais-je pouvoir boucler mon livre si aucun n’est utilisable ? Puis Messi marque le troisième but pour l’Argentine. Pendant un instant, la crainte d’un hors-jeu me traverse l’esprit… mais il vient vers moi, alors qu’importe ? C’est Messi, il célèbre le but qui fera sûrement remporter la victoire à l’Argentine. J’ai enfin quelque chose de spécial ! Quelques instants plus tard, Mbappé marque un autre but pour la France, égalisant le score. Je n’obtiens de nouveau plus rien. C’est parti pour les tirs au but. Je choisis une place d’où je peux voir Messi distinctement, mais mes nouvelles photos ne sont là encore pas terribles.
L’Argentine remporte le match, je me place pour la cérémonie. Messi embrasse la Coupe du monde. Je suis assis dans un coin, je ne vois que le maillot et le bras de Messi.
Rien, encore une fois. Messi se détend en compagnie de sa famille sur le podium et la Coupe du monde, le plus célèbre accessoire à selfie au monde, passe de main en main. Il y a tant de personnes, tout le monde est invité… sauf nous, les photographes.
Mes collègues et moi nous étions dit, encore et encore, qu’il serait extraordinaire de pouvoir capturer ce cliché emblématique de Maradona sur les épaules de ses coéquipiers, soulevant la Coupe du monde. Je leur disait que ça n’arriverait jamais, je n’y croyais pas un instant.
Je me dirige donc vers les supporters argentins. À un moment donné, l’équipe arriverait sûrement à leurs côtés pour célébrer la victoire. Alors que j’arrive, les fans entonnent un chant. Je lève les yeux. Messi est là, sur les épaules de ses coéquipiers, brandissant la Coupe. La panique m’assaille alors que je regarde la scène. Puis-je percer, dans cette foule de 220 photographes ? Non, il est déjà trop loin et je suis trop petit. Mes bras sont trop courts pour espérer obtenir un cliché net. Je regarde autour de moi. Derrière moi, les escaliers menant aux tribunes. Je m’y précipite, regarde dans le viseur… et c’est ainsi que cette photo est née.

Lionel Messi | Nikon Z9 | 14-24mm f/2.8 | 24mm | f/4 | 1/4000 | ISO 6400
C’est exactement la scène de Maradona prise au Mark II. Et ça se produit juste là, sous mes yeux. Je règle mon objectif sur le visage de Messi. Lui et les supporters derrière moi chantent à l’unisson. Je commence à mitrailler., d’abord avec un 24 mm, puis j’essaie un 14 mm. Mon doigt ne quitte pas le déclencheur. Le nombre de prises de vue s’accélère en silence sur le Z9. Je ne le remarque même pas. Messi paraît suspendu dans le temps. Puis il est emporté dans une autre direction. À peine deux minutes de ma vie, mais le moment le plus long de mon histoire de la Coupe du monde.
Je dis toujours à ceux qui apprennent à photographier le sport : ne sélectionnez qu’une seule photo que vous aimez vraiment. Ce soir-là, j’ai pris plus de 9 000 photos. Celle-ci est la seule dont je peux dire avec fierté qu’elle était bonne. Les autres peuvent être perdues à jamais, je ne cillerai pas. Vous devez vivre pour ce moment où tout s’aligne et où vous, le photographe, êtes en position de contrôle pour créer quelque chose de vraiment unique.
MPB est fier de sponsoriser No Hands 3. Pour en savoir plus, rendez-vous sur nohands3.com, où vous pouvez également participer au Kickstarter du livre. www.girlpowerorg.com, une organisation caritative qui soutient les femmes et les filles dans le football à travers le monde, recevra 50 % des recettes du livre.
Stonewall remplit un stade virtuel #ProudStadium avec des partisans des droits LGBTQ+, qui se réunissent pour mettre en lumière les injustices auxquelles les communautés LGBTQ+ sont confrontées au Qatar.
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